Entretien de Mgr Lefebvre avec François Brigneau sur Radio-Courtoisie, le 22 novembre 1989
Sur l’Ostpolitik, sur l’oecuménisme, sur le carmel d’Auschwitz, sur la montée de l’Islam, sur Rome, sur l’avenir de la Tradition, le texte intégral de l’entretien avec Mgr Lefebvre, organisé la veille de son jubilé par Serge de Beketch et Valérie Delahaye pour Radio-Courtoisie.
Serge de Beketch. — Ce soir, grand événement sur Radio-Courtoisie, puisque nous recevons deux des personnages, je dirais les plus éminents, de la famille, deux hommes de fer, deux rocs, je ne crains pas de le dire, Mgr Lefebvre, qui est le roc de l’Eglise traditionnelle, de l’Eglise catholique de la Tradition, et François Brigneau, qui est le roc politique de notre famille, le pater familias en quelque sorte, et qui a accepté, parce que c’était Mgr Lefebvre, de participer a cet entretien et, en fait, de conduire cet entretien.
Moi, je ne serai là qu’a titre de témoin. Merci, Monseigneur, de nous recevoir, non pas A Radio-Courtoisie, mais dans votre maison de Suresnes. Merci, Francois, de vous être dérangé. François Brigneau, vous avez la parole.
François Brigneau. — Je voudrais d’abord rectifier un peu le tir. Entre Mgr Lefebvre et moi, il y a de grandes différences de qualité, de nature, d’importance. Je ne sais pas si je suis un roc, mais lui, il a été le Mont-Blanc de la Tradition, et moi, quoique n’étant pas disciple de M. Mitterrand, je suis plutôt la roche de Solutré. Il faut voir les choses comme elles sont et c’est moi qui suis honoré, flatté, ému, touché au plus profond de moi-même, d’avoir été invité à cette conversation, un an et demi, presque, après les sacres.
Spirituellement et religieusement, cette journée du jubilé sera d’une grande importance. Elle le sera aussi politiquement. Au moment où les événements bouleversent l’Allemagne de l’Est, la Pologne, la Hongrie, l’Union soviétique, le Liban et même la France, où la pression de l’Islam se fait chaque jour plus sensible,
cette journée est appelée à avoir beaucoup d’écho. Personne n’a oublié, en tout cas pas moi, ce 19 août 1976 où, à Lille, vous fîtes irruption dans la vie politique des Français, dans la vie publique des Français, en déclarant, entre beaucoup d’autres phrases importantes, celle-ci qui a résonné dans les coeurs et dans les âmes : « On ne dialogue pas avec les. francs-maçons et les communistes, car on ne dialogue pas avec le diable. »
J’y repensais ces jours derniers en regardant à la télévision exploser le mur de Berlin. Ce peuple allemand, ce peuple prussien et saxon, comme par miracle, se libérait du joug communiste. Il courait vers l’Ouest, vers les magasins de l’Ouest, plus que vers les églises de l’Ouest, il faut bien le reconnaître, et j’étais frappé par ceci : il n’y avait aucun dignitaire de l’Église pour accueillir ce peuple en marche vers une liberté économique qui n’était forcément pas la plus importante des libertés qu’il ait eu à conquérir. Et, devant cet événement extraordinaire, Rome demeurait étrangement silencieuse.
Monseigneur, je vous prie de m’excuser d’avoir été si long, mais J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette situation et de ces bouleversements.
Mgr Lefebvre. — Bonjour, M. Brigneau. Permettez-moi aussi de dire que je suis très ému et très touché de vous recevoir et de vous accueillir, de vous entendre. Je crois que c’est la première fois que nous avons l’occasion de nous rencontrer de cette manière, et je remercie Radio-Courtoisie d’avoir provoqué cette rencontre.
Il y a longtemps que je la souhaitais, mais les circonstances ne l'avaient pas permise, et nous nous rencontrons en effet dans des circonstances peut-être plus dramatiques que nous le pensons nous-mêmes, parce que, dans de nombreuses interventions du Ciel, de la Sainte-Vierge, il est question de la fin du XXème siècle, et que la et que la fin du XXème siècle apportera des solutions qui vont boulverser un peu notre société. Alors, est-ce que ce à quoi nous assistons, ce à quoi vous faisiez allusion il y a quelques instants, est-ce une préparation à l'Apocalypse, ou à des évènements inattendus, je ne sais pas, mais on a vraiment l'impression que quelque chose se passe en effet dans le monde d'inaccoutumé.
Comment faut-il interpréter ces évasions des gens de l’Est vers l'Ouest, vers la liberté, la permission donnée par le gouvernement soviétique à l’ouverture du mur de la honte à Berlin, chose absolument
impensable il y a encore quelques mois ?
Comment interpréter aussi cette invasion de l’Islam dans l’Europe? Car il n’y a pas que la France, il y a l’Allemagne, il y a l’Angleterre, il y a la Belgique. Toute I’Europe est envahie entièrement par l’Islam. Et alors que l’Europe chrétienne s'était toujours défendue contre cette invasion, voici que tout à coup, maintenant, avec la protection des gouvernements et même de l’Église, nous sommes envahis par une religion qui est essentiellement anti-chrétienne, je le répète. Et très militante, donc très dangereuse pour notre civilisation chrétienne.
Alors il est clair que cet anniversaire, se plaçant au cours de ces événements, prend un caractère un peu particulier auquel je ne m’attendais pas moi-même. Je pense que ce sera une occasion, en tout cas, de dire peut-être quelques vérités, mais aussi surtout de prier, parce que je crois que vraiment nous avons besoin maintenant du secours du Ciel, pour éclairer un peu l’horizon de nos Pays chrétiens de l’Europe — devant tous les événements qui se déroulent devant nous — pour essayer de maintenir encore quelque chose de chrétien dans l’Europe.
François Brigneau. — Dans Fideliter — votre excellente revue que dirige M. l’abbé Aulagnier, avec lequel j’ai tellement de plaisir à faire l’Anti-89 — il y a eu une série d’articles, trois je crois, sur, justement, le piège que pouvait représenter, pour nos pays occientaux, la nouvelle politique soviétique.
Et les deux choses qui me frappent, qui sont des événements presque parallèles, c’est que — c’est vrai — cette politique de libération des Allemands, des Polonais, des Hongrois, en général des peuples du satellite soviétique, cette libération n’est pas le fait du chancelier Kohl, n’est pas le fait de M. Mitterrand, n’est pas le fait de l’Europe des Douze, n’est pas le fait de Mme Thatcher, n’est pas le fait de M. le Président Bush. Elle n’a pu être conçue et précipitée comme elle l’a été qu’avec au moins la complicité des Soviétiques. Et ça — en reprenant, si mes souvenirs sont bons, une série d’articles parus dans une revue américaine — Fideliter l’expliquait d’une façon assez étonnante, il y a environ cinq ou six mois. Il faut dire que cette revue annonçait les événements. On pouvait lire dans ces articles le récit des événements qui allaient se produire.
Or tout se passe comme si l’Église conciliaire avait engagé, avec l’Est et le communisme, un mouvement d’œcuménisme politique qui ressemble à un reflet de l’œcuménisme religieux entrepris ailleurs.
Malgré les apparences, malgré les images bouleversantes, malgré ce qu’on a vu du mur et de la joie que les Allemands peuvent avoir à se retrouver — ce qui est tout à fait normal et compréhensible ; quand on a été sous le joug pendant si longtemps, on comprend très bien cette émotion — il y a une réalité redoutable qui pourrait se résumer en ceci, c’est que M. Gorbatchev, en feignant d’ouvrir son empire à l’Ouest, s’est au fond ouvert l’Ouest à son empire. Ce qui est de bonne guerre. C’est une stratégie.
Mais ce qui est de moins bonne guerre, c’est qu’il semblerait avoir eu un complice, ou plusieurs complices — mais un complice, en tout cas, à l’Ouest — et que ce complice ait été le Vatican. Dans vos réflexions profondes, qui ont amené les prises de position qui été les vôtres, vous avez certainement rencontré la réalité de cet Ostpolitik.
Mgr Lefebvre. — Oui, vous avez parfaitement raison, je crois, cher M. Brigneau, de faire un certain parallèle entre l’œcuménisme des religions et l’œcuménisme, aussi, politique. Et je crois qu’on n'a peut-être pas suffisamment attiré l’attention des fidèles sur cet aspect qui est excessivement grave, excessivement grave, parce que l’Église a toujours eu une position politique dans les principes fondamentaux de la politique de justice, de droit, de principes sociaux, de principes économiques, de principes moraux, quand elle dirigeait les sociétés chrétiennes.
Tout à coup, l’Église s'ouvre à des idéologies politiques complètement différentes et opposées même à la morale chrétienne, opposées à la justice, opposées à l'ordre social chrétien. Je pense réellement que c'est un drame, parce que les gens comme Gorbatchev ne sous-estiment pas l'importance d'une prise de position du Vatican, bien que le Vatican représente peu de troupes, disait je crois Staline…
François Brigneau. — Peu de divisions ...
Mgr Lefebvre. — Oui, peu de divisions ...
François Brigneau. — Mais une capacité de diviser...
Mgr Lefebvre. — Oui, une capacité de diviser et, en tout cas, une influence morale quand même encore considérable sur le monde, surtout sur le monde chrétien. Par conséquent les prises de position du Vatican vis-à-vis des Soviets, vis-à-vis du communisme, sont absolument désastreuses parce qu’elle sont en définitive en sa faveur, et je suis persuadé que, s’il y a un accord entre Rome et le communisme prochainement, avec la venue de Gorbatchev à Rome pour visiter le pape, et bien ce sera dans le sens d'une soumission encore plus grande de l’Épiscopat de l’Est au pouvoir soviétique.
Il est question, paraît-il, que le Patriarche des Ukrainiens, par exemple, soit nommé — ce qu’ont demandé toujours les Ukrainiens depuis le Cardinal Slipi, qui voulait être le patriarche des Ukrainiens, et il avait tout à fait raison, mais cela lui fut toujours refusé — mais maintenant Rome accepterait parce que ce patriarche serait désigné pratiquement par le pouvoir soviétique et agréé par le Vatican. C’est invraisemblable. Ce serait mettre la religion de ces braves Ukrainiens, de ce groupe catholique des Ukrainiens, pratiquement dans la main d’un patriarche qui est un agent de Moscou. Alors il y a évidemment une révolte chez les Ukrainiens qui sont furieux contre le Vatican à la pensée que ce patriarche Pourrait devenir un agent de Moscou vis-à-vis d’eux. C’est inimaginable. Il y a là une trahison ! Vraiment on se demande comment le Vatican peut agir comme cela ! Hélas ! il l’a déjà fait. Par exemple en Hongrie avec le Cardinal Lekaï, qui n’est pas autre chose qu'un « prêtre de la paix », ces fameux « prêtres de la paix » qui sont des prêtres de la paix soviétique.
J’ai d’ailleurs reçu une lettre d’un prêtre hongrois qui me disait :« Autrefois, c’était le gouvernement soviétique qui nous surveillait, et nous pénalisait, et nous enfermait en prison, parce que nous faisions des actes qui étaient en principe contraires à la législation de l’apostolat dans les pays soviétiques. Maintenant ce sont les évêques qui ont pris le relais. Autrefois nos évêques allaient en prison parce qu’ils nous défendaient. Maintenant ce sont les évêques qui remplacent le gouvernement soviétique et qui nous persécutent dès que nous faisons quelque chose qui est contraire à la loi soviétique. Parce que le Vatican a placé des hommes soumis au gouvernement soviétique. » On assiste vraiment à une situation...
François Brigneau. — C’est une situation qui existe dans toutes les prisons, où en général les gardiens chargent des gens choisis parmi les prisonniers pour garder ceux-ci.
Mgr Lefebvre. — Exactement.
François Brigneau. — Mais ne quittons pas, s’il vous plaît, l’Europe de l’Est, parce que je voudrais aussi avoir votre sentiment sur le carmel d’Auschwitz, sur l’attitude des évêques français, sur les variations de Mgr Glemp, sur la déclaration ambiguë, et sourde, et explicite pourtant, du Vatican. N'est-ce pas là encore un fait de société qui éclaire bien la transformation où l’on veut engager une civilisation qui est une civilisation catholique ? Car même ceux qui ne sont pas croyants, qui ne sont plus croyants, qu’on a arrachés à la Tradition catholique, demeurent dans une civilisation catholique. Or l’évolution de l’Église conciliaire devant le judaïsme ne marque-t-elle pas un tournant capital de l’histoire ?
Mgr Lefebvre. — Absolument, je suis entièrement de votre avis. Et j’ai répondu à des journalistes qui m’ont déjà posé la question, en particulier à un journaliste d’Amiens, puisque je suis allé bénir une chapelle là-bas, qui me demandait ce que je pensais de cette affaire d’Auschwitz. Je lui disais que, dans le droit canon les carmels en principe dépendent de l’évêque diocésain. C’est donc l’évêque diocésain qui est le supérieur des carmels et ces carmels doivent rendre compte de leur activité, de leur état, à l’évêque diocésain. Je ne vois pas par conséquent ce que viennent faire l’archevêque de Paris et archevêque de Lyon dans le diocèse d’Auschwitz, puisque ce diocèse d’Auschwitz dépend, si je ne me trompe, de Cracovie, ou je ne sais exactement de quel diocèse, mais enfin, en tout cas, dépend d’un évêque polonais.
François Brigneau. — En tout cas, pas de Lyon.
Mgr Lefebvre. — Pas de Lyon, c'est clair. C’est l’évêque du lieu qui doit prendre les décisions à propos du carmel qui dépend de lui. C'est invraisemblable de voir immédiatement ce tollé de la part des évêques uniquement, pratiquement, pour plaire à l'opinion publique juive. On veut plaire maintenant à cette opinion, parce qu'ils ont pris une telle importance dans le monde maintenant, ils ont pris une telle force, ils sont tellement organisés, tellement nombreux que ça devient évidemment un pouvoir important, et ces évêques préfèrent se mettre bien avec eux plutôt que de s’y opposer.
François Brigneau. — On a même caché à l’opinion — parce que l’opinion, elle existe dans la mesure où elle sait, où elle connaît, où elle est informée — que cette affaire du carmel a été décidée avec, je crois, un représentant de l’Église polonaise, un évêque belge, plusieurs évêques français, à Genève. Mais à Genève, où ? Dans la villa de M. de Rothschild. Ce n’est pas tout à fait un terrain neutre.
C'est extraordinaire de voir ça. C’est extraordinaire de voir comme cela modifie petit à petit un décor, un paysage qui était le paysage de notre civilisation, de notre pays. C’est extraordinaire comme cette mue formidable s’accomplit dans un silence quasi total !
Et, à propos de silence, comment interpréter le silence qui entoure l’agonie du Liban chrétien, de plus en plus abandonné à la puissance politique, militaire, religieuse, de la Syrie, dans une indifférence quasi totale également. Il y a quelque chose là qui est absolument affreux.
Mgr Lefebvre. — Oui, vous avez bien raison. J’ai eu l’occasion de parler de cette question du Liban au pape lui-même, dans la seule audience que j’ai eue de lui, il y a déjà bien longtemps, puisque c’était en novembre 1978 — pensez qu’il y a plus de dix ans! — et dans laquelle je lui disais précisément :
Vous, maintenant, vous et vos services, demandez aux États catholiques de ne plus être catholiques, de rayer dans les constitutions que la religion catholique est la religion officielle de l’État, et donc la religion publique. Vous insistez auprès de tous le gouvernements de l’Amérique du sud, des États suisses — parce que les États suisses sont des États qui ont des constitutions différentes — de l’Irlande, de l’Espagne, de l’Italie, vous demandez que ces États ne soient plus catholiques.
Et le jour où les Libanais seront jetés à la mer, qu’est-ce que vous ferez ? Vous ne pourrez plus vous adresser à tous ces gouvernements, Si ces gouvernements restaient catholiques, vous pourriez dire : Enfin, écoutez, vous avez le droit et le devoir de défendre ce pays. Vous êtes un pays catholique, vous professez publiquement la religion catholique. C’est dans votre Constitution. Aidez-nous. Aidez-nous. Aidez diplomatiquement, et même éventuellement militairement, ce pays du Liban qui va être exterminé. Qu’est-ce que vous ferez quand vous vous adresserez à l’Espagne, à laquelle vous avez demandé d’être neutre, de ne plus être catholique, de ne plus s’occuper de religion ? Maintenant nous n’avons plus rien à voir avec la religion catholique, nous ne sommes plus officiellement catholiques, nous ne pouvons pas intervenir auprès du Liban. Vous vous trouverez dans un vide épouvantable, et vous ne pourrez plus avoir de soutien.
François Brigneau. — Qu’a répondu le pape ?
Mgr Lefebvre. — Il n’a pas pu répondre. Il n’a pas pu répondre. Eh bien, maintenant, nous vivons ces événements et le Saint-Siège ne peut plus rien faire. Le pape a bien dit quelques mots, et encore il s’est adressé à qui ? Aux ennemis des Libanais, aux musulmans. Comme si ces gens-là pouvaient écouter le chef des chrétiens en ce moment-là, alors qu’ils sont en train de les persécuter ou de les mettre à la mer. Il y a désormais un manque de simple bon sens, et de sens de l’histoire, et de sens de la vérité, qui est énorme, n’est-ce pas ? Et de sens de la foi. On ne comprend plus. L’Église à vraiment changé depuis Vatican II. C’est une véritable révolution à l'intérieur de l’Église, qui a des conséquences politiques et sociales très, très graves à mon sens.
François Brigneau. — Cette question entraîne la suivante encore que vous l’ayez traitée ce matin : j'ai entendu votre réponse à la télévision. Et vous en avez dit quelques mots au début de cet entretien. Mais il est certain que nous nous trouvons là devant une situation nouvelle en France, ou tout au moins nouvelle pour une partie de l’opposition. Car enfin, l’affaire des tchadors, portés par quelques jeunes filles à Creil et ailleurs, a brusquement sensibilisé l’opinion française. Ce qui pour ma part me parait surprenant. Cette opposition était-elle inconsciente, ou imbécile, ou comme on disait dans ma jeunesse : « Les deux, mon général » ?
En tout cas, il a fallu, semble-t-il, que quelques jeunes filles portent un foulard pour que les Français prennent conscience que leur patrie, que la terre de leur père, était envahie par des millions d'Arabes ce dont se fichent pas mal les francs-maçons qui nous dirigent. Malheureusement ces Arabes sont aussi musulmans — ça, c'est un peu ennuyeux — car la religion musulmane est une religion dynamique — et c’est un mot tout simple dynamique — et même agressive, et peut-être même conquérante, et d’autant plus conquérante que la croix a décidé de ne plus lutter contre le croissant. Il y a là un conflit qui ne va qu’aller s’amplifiant.
J'écoutais l’autre jour M. le ministre des Transports et de la Mer Delebarre, ancien député et maire de Dunkerque parler de la situation dans sa ville. Il disait que la municipalité de Dunkerque avait donné une caution bancaire pour que les musulmans puissent avoir une mosquée. Personnellement, du moment qu'on a laissé entrer les musulmans en France, je ne suis pas hostile a ce qu'ils puissent poursuivre leur culte en France. Mais que la municipalité de Dunkerque leur donne une caution bancaire pour qu’ils puissent avoir une mosquée, je voudrais me permettre de prendre l’occasion de ce débat pour demander à M. le député-maire ministre Delebarre s’il a jamais pensé donner une caution bancaire aux traditionalistes de Dunkerque pour y avoir une église.
Nous sommes donc là — malgré cette affaire du tchador et malgré cette émotion artificielle un peu créée — devant une réalité qui, elle, n’est pas artificielle, devant un problème très grave.
Les musulmans sont encore minoritaires en France. Cela les incite à beaucoup de prudence. Mais nous savons, par l’histoire, que, dans le moment où ils pourront manifester leur force, ils seront terribles, terribles. Nous nous trouvons donc devant un problème qui me semble dramatique et je voudrais vous demander, Monseigneur : que pensez-vous de ce conflit et de son évolution ? Ne Pensez-vous pas qu’il vous appartient à vous, Fraternité, de jeter un grand cri d’alarme pour rassembler les Français et les catholiques sur ce sujet brûlant ?
C'est quand même, si mes souvenirs sont bons, Saint Pie V qui lança sa croisade contre les Turcs et, à Lépante, les arrêta. Comme vous êtes l'héritier de la Tradition catholique, n’y aurait-il pas là un grand mouvement, et pour vous un essor nouveau, à lancer et à appeler à la vigilance. Demain il sera trop tard. Nous serons les plus faibles. Nous sommes déjà en train de le devenir. Ils font plus d’enfants. Ils sont une religion beaucoup plus conquérante que la nôtre. Ne croyez-vous pas que c’est à vous maintenant qu’il
appartient de sonner le tocsin, avant qu’il n’y ait plus de clochers ?
Mgr Lefebvre. — Oui, vous avez encore une fois parfaitement raison, cher M. Brigneau. C’est un problème excessivement grave à mon avis. J’ai eu l’occasion, dans une conférence à Lyon, il y à environ quatre ans déjà, de mettre en garde les personnes qui étaient venues (une belle assistance d’un peu plus d’un millier de personnes) et de dire : Attention à l’Islam.
Les évêques, nos évêques, ne connaissent rien dans le fait de l’Islam. Ils ne connaissent rien dans cette religion. Ils sont en train de soutenir les musulmans, de leur donner des salles pour les mosquées et les organiser religieusement. Le danger de les organiser religieusement, c’est de les organiser politiquement parce que, pour eux, il n’y a pas de différence entre la religion et la politique. Celui qui est chef religieux est en même temps chef politique et, par conséquent, nous allons nous trouver devant une force politique
et une force religieuse fanatique — car c’est le fanatisme, n’est-ce pas, l’Islam — qui risque de nous emporter.
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(Nous avons censuré ce passage qui fut condamné en première instance et en appel.)
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Nous allons nous trouver dans une situation très, très dangereuse. Et déjà maintenant il y à des symptômes plus graves encore qu’en France. Voyez je reviens d’Angleterre. Je pense que la situation de l’Angleterre est encore plus grave que celle de la France. Et que celle de l’Allemagne est très grave aussi. Dernièrement, il y a un an et demi, je crois, il y a eu un défilé dans la ville de Munich de 100 000 Turcs, 100 000 Turcs qui ont défilé dans les rues de Munich en criant des slogans anti-allemands et anti-chrétiens. C’est Significatif! 100 000 ! Vous vous rendez compte ! Que le chef musulman donne un ordre d’égorger les chrétiens et ils se précipitent pour égorger les chrétiens.
Serge de Beketch. — François, si vous me permettez un mot, ce qui me paraît plus significatif que tout, c’est que cette information que vous venez de nous livrer, Monseigneur, sur le défilé de 100 000 Turcs dans une grande ville allemande n'a pas fait l'objet de la moindre information dans la presse européenne. Et en tous cas dans la presse français on a rien eu.
François Brigneau. — Monseigneur, je crois que nous arrivons au terme de notre entretien. Vous voudrez bien m’excuser du tour un peu trop politique, peut-être, qu’il a pris. Mais si l’on avait voulu qu'il eût un tour plus religieux, peut-être aurait-on trouvé un autre interlocuteur que moi… Voici donc enfin, pour terminer, la question qui va peut-être intéresser davantage vos fidèles. Le 30 juin 1988 vous avez sacré quatre évêques. Des remous ont eu lieu. Dix-sept mois après, où en êtes-vous ?
Mgr Lefebvre. — Eh bien, malgré les persécutions, on peut presque dire violentes, de la part de Rome et de la commission romaine qui est chargée de la récupération des traditionalistes pour les soumettre au Concile, malgré toutes les difficultés que nous avons pu rencontrer, qui nous ont tout de même égratinés, il faut bien dire, puisqu’il y a eu quelques prêtres et quelques fidèles très rares qui nous ont quittés, eh bien la situation est plus stable, est plus forte, est plus dynamique que jamais. Je crois pouvoir l’affirmer sans exagération. Partout, partout où je suis passé moi-même, partout où nous avons des échos de ceux qui ont visité les pays lointains où nous sommes installés, partout le courage des fidèles est plus fort, plus dynamique, plus décidé à continuer le combat, à maintenir la Tradition à tout prix.
Partout, tous se réjouissent de la présence de ces évêques. C’est une assurance sur l’avenir. Vous comprenez, moi, je pars, j’ai quatre-vingt-quatre ans. Je sais que je n’en ai plus pour longtemps. Alors j’ai voulu justement pourvoir à cette situation des prêtres et des laïques. Je ne pouvais pas en conscience abandonner tous ces traditionalistes qui luttent pour le bien, qui luttent pour la foi, et en même temps pour la bonne politique, pour la chrétienté en général. Je ne pouvais pas les abandonner, ce n'est pas possible. Or nous constatons depuis un an et demi que, vraiment, les résultats évêques de ces consécrations ont dépassé nos espoirs, et que les quatre évêques ne suffisent presque pas à la tâche pour donner les ordinations, confirmations, bénédictions de chapelles, visites des fidèles. C'est très consolant d'une part, et très triste en même temps, de constater que Rome ferme les yeux délibérément et ne veut absolument pas reconnaître le bienfait de notre action. C’est très surprenant, incompréhensible et très dommage, malgré la visite qu’a faite le cardinal Gagnon, voyez, au cours de laquelle il nous a fait des compliments que nous ne demandions même pas. Et revenu à Rome, c’est la persécution... Je ne sais aucun mot encore aujourd’hui sur le résultat de la visite, alors que c’est moi qui ai demandé cette visite, pour avoir un rapport, pour savoir si nous faisions bien ou mal. Qu’on nous le dise tout simplement. Rien, rien, rien, n’est-ce pas, mais la persécution.
Il y à vraiment une situation romaine qui est grave. On peut presque la comparer, je dirais, à la situation de ces pays socialistes et maçonniques que nous trouvons partout. On ne voit pas comment faire pour les remplacer par des gouvernements d’ordre, de discipline, et d’esprit chrétien. C’est très difficile. Ils occupent toutes les places. Ils ont pris toutes les places évidemment. C’est normal. Rome a fait la même chose. Après le concile, disons que les libéraux ont occupé la place, ils ont dit : « Dehors, les conservateurs, à nous toutes les places. » Ils ont pris toutes les places. Nous nous trouvons devant une occupation à laquelle nous ne pouvons pas grand-chose.
Nous ne pouvons plus que nous tourner vers Dieu, supplier le Bon-Dieu et la Sainte Vierge de venir à notre secours, parce que, vraiment, humainement parlant, on ne voit pas comment changer toute cette administration romaine. Ça paraît, humainement parlant, impossible, d'autant plus qu'ils sont soutenus par les gouvernements socialistes.
Serge de Beketch. — Monseigneur, si vous me permettez une question sur ce sujet, est-ce que vous avez l'impression, depuis dix-sept mois, que la situation s'est aggravée en ce qui regarde l'action de Rome. Est-ce qu'elle s'est améliorée ? Et d'autre part, j'aimerais savoir, si ce n'est pas indiscret, si vous avez eu de la part d'autres évêques, si vous avez reçu des témoignages, je ne dirais pas forcément d'adhésion ou de soutien, mais au moins des témoignages d'amitié, de fraternité et de sympathie ?
Mgr Lefebvre. — Non. De la part de Rome, nous n'avons plus rien depuis un an et demi, aucun contact, ni d'une part, ni de l'autre. De la part des évêques, rien non plus, sauf les attaques habituelles que nous avons chaque fois que je me rends dans un diocèse pour faire une bénédiction ou pour chanter une grand-messe. Évidemment ce sont de grands articles dans les journaux : « Quiconque va à la messe de Mgr Lefebvre sera excommunié ». Comme ça l''était pas plus tard que dimanche dernier à Malvières, quand le curé de Malvières a fait savoir à tous ses paroissiens — ses cinq paroisses — que si quelqu'un allait assister à ma messe il serait excommunié. Voilà. Ça, c'est le pain quotidien que nous avons à chaque fois que nous nous déplaçons, de la part des évêques. Non. De ce côté-là vraiment il n'y a pas d'espoir, et eux ferment les yeux sur les ruines qu'ils sont en train d'accumuler. On ferme les couvents, on vend les églises, on détruit même les églises maintenant. Il n'y a plus rien. Comme je le disais ce matin, à l'occasion de ma conférence de presse, dans quelques années, dans trois, quatre ans, on verra un évêque, un vicaire général, trois, quatre prêtres dans un diocèse et derrière plus rien, rien, rien, rien. Plus de religieux, plus de religieuses, plus d'écoles catholiques, plus rien. Plus de séminaires. Rien. Qu'est-ce qu'ils vont représenter ? Ça va être la fin de l'Église catholique. Je pense que peut-être, à ce moment-là, Rome va finir par faire appel à nous et par dire : « Ils sont catholiques, ils ont gardé la foi catholique, demandons à ces prêtres de nous aider, de venir reconstruire l'Église. » C'est le seul espoir que nous ayons, au moins humainement parlant. Le Bon Dieu peut intervenir évidemment, mais enfin...
François Brigneau. — On a vu aussi que, grâce à vous, grâce à l'action de M. l'abbé Aulagnier, grâce à l'action de M. l'abbé Laguérie, on a réussi à Paris, au 15 août, à avoir dans les années précédentes une procession. Personne ne sortait plus de l'Église et là le peuple de Paris ébahi, stupéfait, a vu au 15 août sept, huit, neuf mille personnes défiler, chanter les cantiques, comme les cantiques de l'enfance. Et cette année, grâce à M. l'abbé Aulagnier, en particulier, on a vu trente, quarante, cinquante, soixante mille — ne disputons pas, ne chicanons pas sur les chiffres — une foule énorme venir, une foule émouvante dans sa simplicité, dans sa correction, dans son humilité, attendre, participer à la messe, entendre les discours et, comme vous le disiez tout à l'heure à table, les discours, c'est toujours ennuyeux, bien entendu...
Mgr Lefebvre. — Ah ! Ah ! Ah !... (Rires.)
François Brigneau. — Entendre les discours, participer, faire plusieurs kilomètres et, quand la fin de la procession partait du Louvre, la tête arrivait rue du Louvre, ce qui est quand même un succès extraordinaire. Surtout quand on pense qu'à l'heure actuelle, presque rien ne peut se faire, sans l'apport des radios, de la télévision, et que la place qui nous est réservée dans l'un ou l'autre de ces moyens de publicité est quand même extrêmement réduite. Et souvent, même dans les journaux amis, on parle de nous, on fait des photos, après, mais pas avant.
Dans cette décadence, dans cette déliquescence, cette réussite est le signe de votre importance. Que l'Église traditionaliste que vous avez défendue et que vous avez renforcée, année après année, est en train de prendre sa place, peut-être pas toute sa place, mais une place importante. Et permettez-moi, au terme de cet entretien, de vous souhaiter pour dimanche le succès que nous avons eu, grâce à vous, le 15 août. Je suis persuadé que le succès est là.
Monseigneur, je vous dis encore mon émotion de vous avoir rencontré comme ça, et, du fond du coeur, de toute ma vie consacrée à une certaine idée de la France française, je me permets de vous remercier, au nom de ma famille et de mes enfants, pour tout ce que vous avez fait.
Serge de Beketch. — Merci, Mgr Lefebvre. Le micro est toujours à vous si vous voulez ajouter un mot. Merci, François Brigneau.
Mgr Lefebvre. — Je voudrais tout de même ajouter un tout petit mot, parce que M. Brigneau a eu l'humilité et la discrétion de parler de M. l'abbé Aulagnier, à juste titre d'ailleurs, au sujet du 15 août, de cette magnifique réussite du 15 août. Mais, mon cher M. Brigneau, je crois que nous vous devons beaucoup aussi, parce que ce sont vos articles et votre zèle qui, aussi, ont entraîné nos chers fidèles à venir se joindre le 15 août à cette procession.
François Brigneau. — L'organisation, c'était M. l'abbé Aulagnier.
Mgr Lefebvre. — Oui, l'organisation... Mais je tiens à dire que tous ont prié pour que la foi catholique puisse continuer à se développer. Je pense que c'est ce que Dieu veut. Et c'est pourquoi nous sommes aidés par la grâce du Bon Dieu. Ce n'est pas moi, personnellement — un évêque, un pauvre évêque comme moi — qui puis donner une impulsion pareille à tout ce... à cette Tradition. C'est certainement que le Bon Dieu le veut pour que l'Église ne périsse pas, que la civilisation chrétienne continue ici-bas et que les âmes se sauvent dans le ciel.

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