Introduction
Nous avons décidé de faire cet article suite à la lecture de cet article du journal belge « La Libre Belgique »
Il semble donc que la rumeur selon laquelle Mgr Lefebvre aurait signé tous les documents conciliaires resurgit. En effet, le blog « archidiacre » a suivi le mouvement en traduisant un article du père Brian W. Harrison.
Après renseignements pris, ces rumeurs ne sont pas nouvelles. Mgr Lefebvre a même pu s’en défendre de son vivant. En effet, en novembre 1990, le père de Blignière affirma qu’il avait la preuve que Mgr Lefebvre signa tout les documents du concile.
Étudions la question.
Le père Brian W. Harrison affirme ceci :
Il y a maintenant un doute – voire une controverse – sur le fait que l’archevêque Marcel Lefebvre a voté contre le schéma de la liberté religieuse avec un non placet décisif tout au long de ses cinq projets successifs pendant le Concile Vatican II. Lors de certaines séances de vote, il était possible de voter entre « oui » et « non », à savoir le placet iuxta modum, qui signifiait l’approbation à la condition de demander des amendements, mais Mgr Lefebvre n’a jamais eu recours à cette option. Ainsi, lors du vote final au matin du 7 décembre (où les pères ont dû choisir entre une simple approbation ou désapprobation du dernier projet), il a été l’un des 70 – environ 3 % du total – qui ont voté contre le schéma. Néanmoins, lorsque le Souverain Pontife lui-même a signé la déclaration controversée une heure plus tard, le prélat traditionaliste français a suivi le mouvement. »
En effet, la signature de Mgr Lefebvre apparaît dans ce document dans les archives du concile :
On voit que Mgr Lefebvre signe ce document, et le signe aussi au nom de Mgr Grimault par procuration. Il était possible d’être au courant de ces signatures dès la publication des Actes du concile en 1978. En effet, dans le 4ème volume des « Acta Synodalia », on peut y voir à la page 809 que Mgr Lefebvre a signé :
La signature de Mgr Lefebvre au nom de Mgr Grimault (par procuration) est visible à la page 855 :
Le sens de cette signature selon Mgr Lefebvre
Cette signature n'est pas un vote, ni une adhésion au texte
A première vue, il semble donc que Mgr Lefebvre ait voté et signé le texte de la liberté religieuse. Pourtant, Monseigneur a affirmé maintes fois le contraire. En effet :
En 1978 (13 ans après le concile), Mgr Lefebvre tiendra une interview aux USA :
Q : Vous avez débattu et pris part aux délibérations du deuxième concile du Vatican, n'est-ce pas ?
R : Oui.
Q : N’avez-vous pas signé et accepté les décisions de ce concile ?
R : Non. Tout d’abord, je n’ai pas signé tous les documents de Vatican II à cause des deux derniers actes. Le premier, qui porte sur « liberté religieuse », que je n’ai pas signée. L’autre, celle de « l'Église dans le monde», je n’ai pas signé non plus. Cette dernière est à mon avis la plus orientée vers le modernisme et le libéralisme.
Il confirmera cela dans son livre « Ils l’ont découronné » :
Un dernier exemple du fait qu'il a toujours nié les accusations est son propos le 17 mai 1982 à Montréal :
Certainement, le cardinal Ratzinger semble plus positif et plus capable de faire aboutir une bonne solution. La seule difficulté qui demeure assez aiguë actuellement, c'est la messe. Cela a toujours été la messe en définitive, depuis le début. Parce qu'ils savent très bien que je ne suis pas contre le concile. Il y a des choses que je n'accepte pas dans le concile. Je n'ai pas signé le schéma sur la liberté religieuse ; je n'ai pas signé le schéma sur l'Église dans le monde. Mais on ne peut pas dire que je suis contre le concile, mais il y a des choses que l'on ne peut pas accepter, qui sont contraires à la Tradition. (17 mai 1982, conférence à Montréal)
Cette signature : un simple acte de présence ?
Dans un Fideliter, Mgr Lefebvre tiendra une interview où il répond aux accusations, et se défend en affirmant que la signature sortie des archives ne signifie qu'un acte de présence :
Que faut-il penser ?
Que devons-nous croire ? Nous allons nous poser trois questions :
1) Cette signature signifie-t-elle que Mgr Lefebvre était simplement présent à cette séance de vote comme il l’affirme dans le Fideliter n°79 de janvier 1991 ?
Nous pensons que sur ce point, la mémoire de Mgr Lefebvre lui fait défaut. Pourquoi pensons-nous que cette signature ne peut pas être une simple preuve de présence lors de la séance de vote ? Tout simplement parce que Mgr Lefebvre signe par procuration pour un absent (Mgr Grimault). Cette liste de signature ne peut donc pas représenter la simple présence du prélat lors de cette séance de vote. Cela ne change rien au fond du problème, car 26 ans après, une erreur de mémoire est tout à fait compréhensible.
2) Malgré que Mgr Lefebvre ait dit le contraire, cette signature signifie-t-elle un vote en faveur du texte sur la liberté religieuse ?
Nous ne pensons pas que cette signature est la « preuve » du vote de Mgr Lefebvre en faveur du texte sur la liberté religieuse. En effet, voici plusieurs arguments allant contre cette thèse :
Sur la feuille sortie des archives du Vatican, on voit que Mgr Lefebvre appose sa signature sous l’intitulé de 6 textes conciliaires. Ce serait manquer de bon sens que de croire que les pères conciliaires devaient approuver ou désapprouver 6 textes en bloc. Car dans cette hypothèse, comment approuver ou signer une partie des 6 textes, et désapprouver les autres ? Cela serait rendu impossible.
De plus, Mgr Lefebvre signe pour un absent par procuration. Or il était interdit de voter par procuration. En effet, les règles du concile interdisent un quelconque vote par procuration ou délégation: elles permettaient uniquement la signature par procuration du document final et officiel après que le pape l’ait approuvé et signé. En effet, dans le volume 3, numéro 8 à la page 184, on peut lire :
"Certains pères demandent si, lors de la séance publique de samedi prochain, ils pourraient donner leur vote par l'intermédiaire d'un autre père. La réponse est négative. Le suffrage est donné personnellement, si le père a procuration, il peut signer les documents qui peuvent avoir été approuvés. Mais il ne peut pas voter pour un autre père. (…) On a déjà dit plus d'une fois qu'un vote est personnel et n'est pas donné par délégation. Merci."
Donc cette signature ne peut absolument pas signifier un quelconque vote
3) Cette signature signifie-t-elle une approbation implicite du texte sur la liberté religieuse ?
Nous ne pensons pas que cette signature est la « preuve » de l’approbation officielle de Mgr Lefebvre du texte sur la liberté religieuse. Notre argument est le suivant :
En 2018, Mgr Leonardo Sapienza a publié « La barca di Paolo ». Cet ouvrage contient de nombreux éléments inédits sur la vie du pape Paul VI et sur les années de l’après-Concile. A la page 153, on peut y lire la transcription de l’entretien entre Mgr Lefebvre et Paul VI, en 1976. Cette transcription est inédite, car le Vatican a toujours refusé de donner une copie à Mgr Lefebvre. Dans cette transcription, on peut lire que Paul VI reproche à Mgr Lefebvre de ne pas adhérer à tous les documents du concile.
Il est fort probable que si la signature de Mgr Lefebvre signifiait une approbation de la liberté religieuse, le pape aurait rappelé à Mgr Lefebvre que s’il désirait être cohérent, il aurait dû admettre à tous les fidèles s’être « salis les mains lors du concile ». Le pape rappelle aussi dans cet entretien qu’il a signé la plupart des documents du concile.

Implicitement, cela indique bel et bien qu’il ne les a pas tous signé. Cela conforte les propos de Mgr Lefebvre affirmant qu’il a refusé d’en signer 2 : le schéma sur la liberté religieuse et le schéma sur l'Église dans le monde.
Objection
Dans les propos de Mgr Lefebvre qui sont relatés, il parle du fait qu’il n’a pas « signé » deux documents conciliaires. Or, vous nous expliquez que la signature évoquée par le père de Blignière n’est en rien la signature du décret sur la liberté religieuse. Mais alors se pose la question suivante : A quel moment les pères conciliaires avaient-ils l’occasion de signer ce document en tant que tel et indépendamment ?
Entre le vote concernant un document, et sa possible promulgation, les pères conciliaires avaient la possibilité de signer le document en question. Par exemple, dans le volume 2, numéro 6 des actes du concile, on peut lire à la page 408 :
Ces listes de signatures ne sont pas reprises dans les Acta Synodalia. Il est donc impossible à quiconque d’affirmer que Mgr Lefebvre a signé le document sur la liberté religieuse.
Très intéressant. Quelle était la raison de cette signature alors, si elle n'est ni un acte de présence, ni un acte d'approbation??
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerC'est sans certitude, mais c'est peut-être un moyen de prouver sa participation, même par délégation, malgré le refus du vote.
Il est aussi possible, que dans la foule des paperasses à signer, Mgr n'ai pas fait attention. Mais ce qui est certain, c'est qu'il ne s'agit ni d'un vote ni d'une approbation. Et nous n'affirmons pas cela par conséquence d'un culte de la personnalité, mais par réflexion honnête, et le plus objectif possible.